Le sujet complexe des arrêts de travail, influencé par le vieillissement démographique, l’impact de la Covid-19 sur le rapport au travail, les transformations numériques et les évolutions dans la structure familiale, a été au centre des échanges de la 2e Matinée paritaire de la prévoyance collective organisée en avril par le CTIP.
Durant cette matinée, qui a réuni une centaine de participants : partenaires sociaux et représentants des directions des institutions de prévoyance (IP), huit membres de la gouvernance du CTIP ont partagé leurs réflexions, motivées par un objectif commun : défendre la démocratie sociale pour préserver le collectif et soutenir le rôle des IP en faveur de la prévention et du maintien dans l’emploi.
Retrouvez l’essentiel des perspectives qu’ils ont tracées pour l’avenir de notre système de protection sociale complémentaire.
« Adapter le travail à l’individu, et non l’inverse. »
Dominique Bertrand (CFTC), président du CTIP
« Au CTIP, nous nous enrichissons de nos différences et respectons celles de chacun. Aussi, je m’exprime sur ce sujet en tant que représentant de mon organisation syndicale : à la CFTC nous préconisons la prévention pour éviter le plus possible la nécessaire réparation. Adapter le travail à l’individu, et non l’inverse, est une obligation faite à toutes les entreprises par les dispositions du Code du travail sur la prévention. Nous devons trouver des solutions pour améliorer véritablement les conditions de travail et préserver ainsi la santé présente ou future des salariés. Développer davantage d’actions de prévention en entreprise tout en adaptant régulièrement les modalités de travail, notamment pour accompagner avec bienveillance les salariés âgés, nous semble indispensable.
Au législateur, nous proposons aussi de qualifier en maladie professionnelle davantage de risques qui, longtemps sous estimés, sont à présent bien documentés comme risques professionnels. L’obligation de la formation sur ces risques constituerait, de plus, un progrès pour tous. Nous suggérons de mettre également l’accent sur la formation des médecins et leur capacité de reconnaître et de diagnostiquer les maladies professionnelles. Enfin, la formation des jeunes à la prévention des risques de santé devrait être généralisée dès l’école, au travail et en dehors. Si toute la société comprend la nécessité de prévenir plutôt que de guérir, nous y gagnerons tous. »
« La branche est le niveau le plus indiqué pour évaluer les risques et définir la prévention à déployer. »
Agnès Colonval (CFE-CGC), administratrice du CTIP et déléguée nationale du pôle Protection sociale de la CFE-CGC
« Pour analyser les causes de la hausse des arrêts de travail, un premier critère émerge : le vieillissement de la population. Vient ensuite la dégradation des conditions de travail qui se manifeste, notamment, par une densification du travail et une pression accrue sur les managers.
À cela s’ajoute, pour les femmes, la charge de travail tant professionnelle que personnelle, qui pèse sur leur état de santé. Une solution serait d’utiliser les négociations sur la qualité de vie au travail et les conditions de travail. L’évaluation et la régulation de la charge de travail doivent être impérativement abordées dans le cadre de celles-ci. Il semble également nécessaire de mettre en place des outils permettant d’apporter du sens et de la reconnaissance au travail. Redonner de l’autonomie aux managers et respecter leur droit à la déconnexion doivent être une priorité. Par ailleurs, la branche professionnelle est le niveau le plus indiqué pour évaluer les risques et définir la prévention à déployer pour les éviter.
La loi du 2 août 2021, qui porte sur la prévention de la désinsertion professionnelle, prévoit que le salarié bénéficie d’une visite médicale après un arrêt de travail, d’une durée actée par un accord de branche. Pour la CFE-CGC, des accords de branche peuvent prendre en compte la situation de salariés aidants et prévoir leur nécessaire accompagnement. Enfin, la CFE-CGC soutient le développement de la retraite progressive et nous sommes favorables à la rendre opposable à l’employeur. »
« Prendre les problèmes un par un et agir ! »
Bernard Fauché (CFDT), administrateur du CTIP, président de la SGAPS Apicil et secrétaire du comité social et économique central (CSEC) de Renault Trucks
« Pour la CFDT, il est grave de ne pas agir sur les causes racines des arrêts de travail. Cela doit se faire dans chaque société, chaque administration. Les dernières réformes ont tout cassé comme la suppression du CHSCT qui permettait l’action d’élus locaux spécialisés et motivés. Pour améliorer la situation, il suffit donc de revenir en arrière, mais le gouvernement refuse cette simple solution.
Dans les entreprises, certains comportements sont aussi en cause : il est parfois plus aisé d’ignorer les problèmes à l’origine des arrêts et de recourir à des contrats précaires pour les postes à risques. Le corps social et le corps politique sont aussi à mettre en cause. Je pense notamment aux problématiques comme les cancers ou les maladies professionnelles liés aux polluants chimiques industriels, à l’amiante, aux pesticides. Il n’y a toujours pas de réglementation assez forte alors que des rapports d’alerte et de toxicité sont établis depuis des décennies. Pour autant, l’État, les entreprises… tergiversent, réglementent a minima, contrôlent peu et ne sanctionnent presque jamais malgré les nombreuses victimes. S’ajoutent des causes sociétales et politiques qui font monter les arrêts de travail et les troubles psychiques : la « junk foodisation » de la société, l’intensification, la précarisation et la flexibilisation du travail, la chute de la prévention. Les solutions doivent être aussi variées que les causes. Nous avons la chance de compter de nombreux sachants motivés dans toutes les institutions de prévoyance et la société civile. Il faut prendre les problèmes un par un et agir ! »
« Faisons confiance aux partenaires sociaux pour améliorer la qualité de vie au travail ! »
Alain Gautron (FO), administrateur du CTIP et président de l’association sommitale Malakoff Humanis
« Depuis 2014, les avis d’arrêt maladie ont connu une hausse structurelle : le montant des indemnités journalières (IJ) a doublé, selon le Comptoir Malakoff Humanis. Et un salarié sur deux s’est vu prescrire un avis d’arrêt de travail en 2023. Toutes les catégories socio-professionnelles, y compris les cadres, et toutes les tranches d’âge sont concernées mais plus particulièrement les travailleurs âgés, ce qui pose la question du recul de l’âge légal de départ à la retraite. Le stress ou les troubles psychologiques sont la première cause des arrêts. D’autre part, les enquêtes de la médecine du travail font ressortir une hausse inquiétante des incapacités et, de fait, des licenciements pour incapacité. Face à ce constat, chacun étant conscient de l’importance de la qualité de vie au travail, nous devrions plutôt revenir sur l’erreur de la suppression des CHSCT en 2017.
Et pour FO, les négociations conventionnelles sur la qualité de vie au travail sont au coeur de la réponse à l’absentéisme. Faisons confiance aux partenaires sociaux pour améliorer la qualité de vie au travail ! La prévention représente également un enjeu d’envergure. Les actions menées par Malakoff Humanis dans les branches professionnelles ou les entreprises, en s’appuyant sur un diagnostic partagé des partenaires sociaux au plus près du terrain, permettent la mise en place de dispositifs coconstruits d’accompagnement et de conseil qui font concrètement leurs preuves. »
« Tenir bon dans la défense de la démocratie sociale et du paritarisme de gestion. »
Thierry Grégoire (CPME), administrateur du CTIP, de Malakoff Humanis Prévoyance et de l’Ocirp, chef de file CPME et négociateur en charge des GPS
« L’augmentation des arrêts de travail est une conséquence de la période Covid. L’allongement du délai de carence des arrêts de travail prévu par le gouvernement n’est pas une économie pour les entreprises. En effet, les cotisations de prévoyance augmenteraient, ce qui engendrerait des factures très lourdes pour tous les acteurs de l’écosystème assurantiel. La bonne question est celle de leurs causes et de l’avenir de la prévoyance collective face aux évolutions sociétales : la place du travail post Covid, l’éclatement de la structure familiale, ses conséquences sur les jeunes et les remises en question par les pouvoirs publics
de la démocratie sociale.
Une des causes des arrêts de travail est le changement du rapport au travail, par exemple la perte du sens collectif et l’individualisation à outrance permises par la révolution digitale : télétravailler huit heures derrière un écran représente aussi une souffrance. Le salariat est aussi injustement décrié : contesté par l’auto-entrepreneuriat – même si 34 % des autoentrepreneurs ont aussi un contrat de travail au sein d’une entreprise – et même si les dirigeants sont de plus en plus salariés, car ils souhaitent bénéficier des différents dispositifs de protection sociale et d’assurance chômage. Et si les moins de 30 ans, quant à eux, veulent davantage de liberté dans leurs rythmes de travail, ils apprécient néanmoins la protection apportée par le salariat.
La meilleure réponse à ces changements et aux velléités d’étatisation de la protection sociale, c’est de tenir bon dans la défense de la démocratie sociale et du paritarisme de gestion. La CPME est pour une économie mutualisée dans le monde de la protection sociale, car elle est un investissement de long terme dans l’Humain, qui est la richesse de l’entreprise, mais il faut y poser des limites car le social c’est aussi de l’économie. »
» Nous devons analyser l’impacts des évolutions du travail. »
Agnès Hautin (U2P), administratrice du CTIP, BTP Prévoyance et CAPSSA, chargée de mission en Protection sociale à l’U2P
« Pour l’U2P, les arrêts de travail, qu’ils soient courts, intermédiaires ou longs, n’ont pas les mêmes conséquences sur les parcours professionnels et ne nécessitent pas nécessairement les mêmes démarches de prévention. Or nous manquons encore de données pour réaliser une analyse assez fine de la hausse générale des arrêts. Leur partage par l’Assurance Maladie permettrait d’évaluer la part liée aux maladies graves, à l’usure professionnelle, au vieillissement ou au report de l’âge légal de départ à la retraite. Mais nous devons absolument agir plus efficacement sur la prévention et dans l’accompagnement du retour à l’emploi. Les TPE ont besoin, pour cela, de l’appui des cellules de prévention de la désinsertion professionnelle et du maintien dans l’emploi, et de tout ce qui a été mis en place au sein des institutions de prévoyance. Cet accompagnement est primordial pour les TPE qui n’ont pas de ressource interne en prévention.
Dans le BTP, un important dispositif de mesures de prévention des risques professionnels a été mis en place, qui a très nettement réduit le nombre d’accidents du travail et les risques qui y sont associés. Nous nous appuyons sur l’Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics (OPPBTP), qui accompagne et met à la disposition des 240 000 entreprises du BTP des solutions de prévention très pragmatiques et positives, avec des outils adaptés à tous types d’entreprises. »
« Il est urgent de remédier au mal travail. »
David Huynh (CGT), administrateur du CTIP et membre du conseil de la CNAM
« L’effet massif du vieillissement, directement lié au recul de l’âge de la retraite, se constate sur la hausse des arrêts maladie. Le premier motif, les troubles psychiatriques, renvoie à un sujet épineux, lié aux maux de notre société et aux bouleversements du travail et du rapport au travail. Parallèlement, les accidents du travail, de trajet et les maladies professionnelles cumulés concernent 700 000 salariés chaque année, soit l’équivalent de la population de l’agglomération nantaise. Ce point démontre bien le mal-travail auquel il est urgent de remédier. Les représentants des employeurs et des syndicats dans les entreprises doivent s’approprier ce sujet !
Les individus ne sont pas égaux face aux risques comme le travail de nuit, le travail en alternance, les vibrations mécaniques, la manutention de charges lourdes et de produits chimiques dangereux, ou encore le travail sous température extrême : les ouvriers non qualifiés, les intérimaires, les salariés jeunes ou moins expérimentés et les travailleurs sans papiers sont en première ligne. Les femmes occupant des emplois dans les services à la personne sont également davantage exposées à des risques, ce qui se traduit par des taux d’accidents du travail et de maladies professionnelles plus élevés pour elles.
Rétablir les CHSCT mais aussi les critères de pénibilité qui ont disparu des comptes professionnels de prévention en 2007 est indispensable. Renforcer les contrôles et les sanctions des entreprises ne respectant pas la loi également. Enfin, les IP ont un rôle essentiel en restituant aux branches et entreprises les données des arrêts de travail issues de la DSN dans une optique de pilotage. »
« Privilégions le temps long, ce qui implique de laisser la main aux partenaires sociaux ! »
Thierry Micor (MEDEF), administrateur du CTIP et de BTP Prévoyance, directeur emploi et protection sociale de la FFB
« Pour le MEDEF, traiter la problématique de l’augmentation des dépenses des indemnisations journalières (IJ) nécessite un travail partagé avec une réflexion différenciée en examinant ses diverses causes, accidents du travail et maladies, arrêts courts et longs. La hausse des dépenses d’IJ n’est pas nouvelle mais semble s’accentuer. Impliquons tous les acteurs et arrêtons avec la solution de facilité consistant à transférer les dépenses aux entreprises. Privilégions le temps long, ce qui implique de laisser la main aux partenaires sociaux !
Des leçons sont à tirer des actions mises en place à la Caisse des accidents de travail et des maladies professionnelles sur le suivi statistique et la prévention. Il s’agit d’une branche gérée paritairement. La Caisse d’Assurance Maladie dispose de nombreuses données sans pour autant les exploiter ou les partager avec les différents acteurs sociaux.
Appuyons-nous également sur le travail des GPS pour lutter contre la dynamique d’évolution, notamment concernant les arrêts chez les jeunes, les cadres et pour motifs liés à la santé mentale.
Travaillons avec les médecins sur un parcours dans lequel le médecin traitant serait l’unique prescripteur, sur la mise en place de référentiels de durées d’arrêts définis par les sociétés savantes. Accompagnons les employeurs dans une démarche de prévention des arrêts de travail, notamment les entreprises présentant un nombre d’arrêts de travail atypique. Et favorisons la prévention de la désinsertion professionnelle et le retour à l’emploi. »
Prévoyance, le magazine du CTIP
Cet article fait partie du numéro 81 de Prévoyance, le magazine trimestriel du CTIP. Il existe en version papier et en version newsletter. S’abonner en cliquant ci-dessous.